les voleurs de mort

Publié le par Alain Haye

Mort_Burton_1-copie-2.jpgElle n’avait pas cessé tantôt de jurer tantôt de geindre, se plaindre, comme jour de Toussaint, quoique, nous n’étions que la veille.

 

 

- « Et pourquoi pas demain… c’est demain le 1er novembre ?  Et pourquoi je n’ai pas épousé un voleur de fleurs, de fleurs des champs, ou un voleur d’amour… Mais pourquoi ?? » 

Elle égrainait un chapelet de pourquoi, de comment... depuis notre entrée dans le petit cimetière de Sainte-Colombe des Bois.

 

Parce que nous sommes de la race des thaumaturges mon aimée et qu'on ne peut s'unir qu'entre membres d'une même caste, me persuadai-je, mais je ne dis mot. Je savais qu’elle était perdue dans les affres de la souffrance, celles du travail qui venait de commencer, raison pour laquelle je n’avais pu attendre le 1er novembre.

De toute façon,  je ne savais pas plus voler de fleurs des champs que d’amour, et on ne m’avait pas destiné à de telles bagatelles. A la Cour des miracles, chacun son sacerdoce. Il y a longtemps que j’avais abandonné ces futilités à d’autres, enterré mes rêves depuis mon premier vol de mort. Rien d'autre ne savais-je défouir.

 

La lune était pleine, gaie comme une ampoule. La brise chaude d’un été indien qui n’en finissait pas de finir faisait frémir les chrysanthèmes dont certaines pierres tombales en étaient déjà couvertes.

 

Elle traînait du pied sur le gravier des allées du cimetière comme un enfant qu’on tire à l’école. Je la "tirais", vers le petit carré, des petites tombes, des petits défunts, morts à peine franchi le seuil de la vie.

La pierre tombale, blanche, était grande comme un gâteau de mariage.

 

Georges-Emmanuel De Guirec

10 février 1959 – 2 mars 1959

 

Je m’accroupis pour chasser d’un bras les plaques funéraires, inepties vaines et égotiques. Des morceaux de marbre froid comme la mort et qui ne servent qu’à flatter les égos « chagrineux » de ceux qui-restent, quand ils ne sont pas morts à leur tour, sachant que les morts ne lisent plus.  Les cimetières sont faits pour les vivants pas pour les morts.

 

- « Viens manamour, viens ! »

Elle savait le rituel, mais qu’on la guide, encore, toujours, comme à chaque vol.

Avec précaution et tendresse, je l’allongeai sur le marbre tiède de la demeure éternelle de Georges-Emmanuel De Guirec, mon élu de l’année.

 

Du sang avait coulé sur ses jambes blanches, jusqu’aux chevilles… Elle écarta les cuisses maculées avant que j’enfouisse ma tête sous sa robe noire y lécher sa plaie vive de ma langue avide.

 Quand je relevai la tête, haletant, je la vis, pleurer des larmes de sang, se mordant les lèvres de tourment.

Je la pénétrai sans plus attendre.

Sa pâleur miroita à la lune et les perles de sang sur son visage luisirent comme des gouttes d’eau noire.

Nous jouîmes à l’unisson à s’en arracher le cœur, mêlant nos larmes, nos salives au goût métallique de sang frais.

Je me relevai le souffle court, happant l’air, ma bouche grande ouverte au vent, une bave rose coulant de mes lèvres, bras ballants,  sexe endolori.

Elle, resta prostrée, les cuisses envahies de soubresauts quand je vis enfin le sommet d’un crâne distendre son sexe cramoisi.

-« Oui, c’est bien, c’est ça… Il arrive » l’encourageai-je doucement, ému comme au premier matin.

 

Dix minutes auront suffit pour que l’enfant-mort renaisse à la vie, sans un cri, sans un pleur… une crème.

Je pris le bambin d’os chenus que j’enveloppai de mon écharpe, le tendis au ciel comme témoin et le posai délicatement sur la poitrine de sa régénératrice. C’était fini, fini…

- « On ne l’aura pas volé celui-là » posant mes lèvres souriantes sur les siennes.

- « Je t’aime mon voleur de mort, je t’aime, je t’aime… Jamais d’autre,  jamais d’autre que toi… » me souffla-t-elle à l’oreille, caressant doucement le crâne du petit squelette dont les côtes se soulevaient à chacune de ses respirations.

Publié dans Nouvelles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
J'ai une tendresse particulière pour cette illustration
Répondre