Page blanche

Publié le par Alain Haye

 

 

Aujourd'hui, j'héberge avec plaisir, une nouvelle de Fabienne Desseux qui s'intitule : Page Blanche

 

L'humanité oublait


Au début Alzheimer ne touchait presque uniquement que les personnes âgées. Puis quelques cas ont été décelés chez des individus moins vieux – autour de quarante ans – et  insensiblement la maladie a commencé à s'immiscer chez les trentenaires, pour enfin se répandre chez les jeunes adultes et les adolescents.

L'humanité s'effaçait.

Les humains bataillaient pied à pied. Mais rien n'y faisait. Comment transmettre des solutions si chacun désapprenait même les choses les plus essentielles. Une course contre la montre était engagée mais l'adversaire avait toujours une longueur d'avance.

Petit à petit les journaux se firent moins nombreux, faute de gens se rappelant comment les faire exister. Les médecins notaient scrupuleusement les conclusions de leurs recherches, mais sans mémoire, ils n’en comprenaient plus les résultats. On oublia alors ce contre quoi on se battait. Les têtes pensantes ne pensaient plus. Les gouvernements ignoraient leur raison d’être. Les familles ne se reconnaissaient plus.

L'humanité régressait.

On ne sut plus comment faire fonctionner l’informatique, l'économie, l'agriculture.

Les villes s’éteignirent. Le chauffage s'arrêta. Bientôt les peuples oublièrent à quoi servaient les maisons, les couvertures. Ils ne savaient plus ouvrir une boîte de conserve alors que les placards étaient encore garnis. Ils mourraient entourés d’une opulence ignorée. Enfin ils se sont dénudés ; l’art de la couture s'étant perdu dans les sables de l'oubli.

Instinctivement, chacun essaya de survivre en chassant, en cueillant. Mais l'ombre continuant de grandir, les hommes oublièrent comment chasser et quoi manger. Et les populations moururent de plus belle.  

Mais ils n'oublièrent jamais une chose : comment se reproduire. L'homme ne parlait plus, ne pensait plus, survivait au petit bonheur la chance, mais continuait à copuler et à procréer.

Les enfants livrés à eux-mêmes, mouraient en grand nombre. Mais certains survivaient malgré tout au froid et à la faim, mués par l’instinct des jeunes animaux qu’ils étaient devenus. Un jour un petit d'homme, assis dans la boue, tapait vigoureusement, les mains à plat, en faisant gicler la matière dense et collante.

Son regard, un instant se figea.

Il enfonça profondément ses doigts dans la terre meuble. Puis avec précaution s'approcha d'un pan de mur situé à proximité. D'un geste délicat, il porta une main boueuse contre la paroi, déposant une trace nette sur la pierre.

Un autre enfant s'approcha. Il observa longtemps le dessin de cette main minuscule.

Un sourire naquit alors sur son visage.

Un sourire oublié.

 

L'humanité renaissait.  

Publié dans Nouvelles

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P
Très belle ambiance dans cette nouvelle. Et ça me fait penser à une période que j'aime beaucoup !
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